
Les gardes se précipitèrent dans les appartements d´Athéna pour lui porter secours mais ce qu´ils y virent les prit au dépourvu : il n´y avait ni intrus ni danger. Juste Eris au milieu de la pièce.
Athéna n´était pas portée sur le luxe et sa volonté de partager les mêmes conditions de vie que ses chevaliers était clairement affichée.
Un lit constituait la seule exception à cette règle. En effet, les servantes de la déesse n’avaient pas accédé à l’intégralité de ses requêtes spartiates.
Des poupées et des jouets offerts par différents chevaliers à la déesse lorsque celle-ci était encore une enfant étaient posés sur un coffre.
- « Qu´est-ce que c´est que cette horreur ?! »
Les gardes se retournèrent vers Eris…
- « Majesté ?
- Cette pièce est affreuse ! Ce manque de couleurs, cet espèce de caveau morbide, c´est une infamie ! Faites appeler les décorateurs !
- …
- Vous avez bien des décorateurs au Sanctuaire ?!
- C´est à dire…
- Et bien, créez la fonction. Débrouillez-vous ! Et que ca saute ! »
Les gardes s´empressèrent de quitter la pièce.
Eris poussa un soupir :
- « Athéna. Tu m´auras pourri la vie jusqu´au bout… »
Elle sortit du temple et poussa de nouveau un cri.
***
Les abords du Sanctuaire.
La villa servait de lieu de repos aux chevaliers d´or lors de leurs permissions.
Donner du Capricorne était assis sur l’une des douze chaises qui entouraient une grande table ronde. »
Il regardait le siège qui recevait traditionnellement le chevalier du Scorpion tout en caressant sa barbe.
Jean de la Vierge fit son entrée :
- « Je sais que le chevalier de la huitième maison et toi étiez amis. Je suis désolé de n´avoir pu te présenter mes condoléances plus tôt. »
Donner baissa les yeux :
- « Le plus triste, c´est que son corps est tombé dans un des précipices menant au monde des morts. Je ne peux même pas lui offrir la sépulture à laquelle il a droit. Je te remercie pour ton attention, Jean, mais je ne crois pas que ce soit la raison pour laquelle nous nous réunissons aujourd´hui…
- Victor du Bélier n´est pas là ?
- Non. J´ai essayé de le faire venir mais il n´a rien voulu savoir. »
Le Chevalier de la Vierge ne put cacher son irritation :
- « Nous sommes des chevaliers d´Or. Tous les chevaliers de Bronze et d´Argent sont dans l´attente de notre réaction aux événements de ce matin. Comment allons-nous préserver l´intégrité du Sanctuaire si nous ne montrons pas un visage uni ?
- Jason n´est plus le même depuis la guerre sainte. Il ne viendra pas. C´est à nous deux de décider si nous devons suivre le Pope… Ou le tuer avant de nous en prendre à Eris. »
Le visage de Jean traduisit sa stupeur. Donner continua:
- « L´impossible s´est produit : Athéna ne reviendra pas avant 250 ans, Eris est la maitresse du Sanctuaire et un chevalier de bronze a été nommé grand Pope. Il nous faut clarifier notre position avant que le doute ne gagne les troupes. Demain, il sera trop tard. »
- Et quelle est ta position ?
- Le Pope a été nommé par Athéna et Eris occupe légitimement la tête du Sanctuaire, adoubée par ce même Pope et l´armure de la Déesse. »
Jean se rapprocha :
- « Tu viens pourtant de parler de les assassiner.
- Attaquer Eris maintenant serait du suicide. Le moral est au plus bas et la majorité des armures est détruite. Dans l´immédiat, une rébellion serait vouée à l´échec ».
Jean soupira :
- « Je reconnais que même si la décision du Pope m´a surpris, elle est tactiquement la meilleure. Avoir Eris à nos côtés, c´est au moins ne pas l´avoir contre nous. Remettons au plus vite la chevalerie sur pied afin d´être prêt en cas de nouvelle mauvaise surprise. J´ai toujours été fidèle à Athéna. Je respecterai le jugement de son armure et suivrai sans rechigner le Pope qu´elle a nommé. »
Donner se leva :
- « Qu´il en soit ainsi : Les chevaliers d´Or suivront le Pope et Eris. Je ferai parvenir la nouvelle aux chevaliers de Bronze et d´Argent… »
Jean s´approcha de la fenêtre :
- « Si seulement nous étions plus nombreux… »
- « Justement. Un apprenti vient de postuler à la dernière armure d´Argent encore libre. Celle de la Flèche. »
***
Le parvis du palais du Pope.
Le groupe d’hommes était des plus hétéroclites : Torses nus pour les uns, tenues chatoyantes – voire même des robes – pour les autres.
Eris poussa un soupir de dégoût en voyant que la couleur de peau de certains d’entre eux était sombre.
De tels traits lui rappelaient ce qu´elle considérait comme une tare même chez ses divins pairs.
Les humains s´agenouillèrent aux pieds de la Déesse.
La satisfaction d´Eris disparut lorsqu´elle comprit qu´ils la prenaient pour Athéna.
Elle quitta le parvis sans même les saluer.
***
Sud-est de la France.
La jeune albinos regarda Alistair :
- « Je n´ai vu que ton père sur votre domaine. Ou était donc ta mère ?
- Elle est morte à ma naissance. Je ne l´ai jamais connue. Mon père est mon seul parent proche.
- Tu sembles lui vouer une grande admiration.
- Oui. C´est un homme qui croit depuis toujours en notre Déesse. Il a su faire de notre maison une grande famille reconnue à la fois dans le pays et dans notre culte. Il est la personne à qui je tiens le plus.
- Mmh. Je croyais que l´amour n´était pas une notion très cotée dans la chevalerie noire. Me serais-je trompée ?
- Il y a plusieurs types d´amour. Et si l´un d’entre eux trouve grâce aux yeux de notre Déesse, c´est bien l´amour filial. »
Elrika ne répondit pas.
Un groupe d´hommes en guenilles fit son apparition au beau milieu de la route.
- « Eh vous deux ! Donnez-nous vos biens et on vous épargnera ! »
Alistair jaugea les assaillants du regard :
- « Je vois que la famine prend des proportions toujours plus grandes… Messieurs, je comprends votre volonté de vous nourrir, vous et vos familles, mais à votre place, je rebrousserais chemin… »
Les brigands se jetèrent sur les deux cavaliers.
Elrika s´envola littéralement de sa monture et réapparut derrière le groupe d´d’assaillants. Alistair fit un mouvement du bras et une bonne moitié des têtes misérables se détachèrent de leurs corps en volant dans les airs.
Les hurlements qu´il entendit alors le firent se retourner.
Les autres voleurs gisaient sur le sol, les entrailles à l´air , toujours vivants.
Leurs yeux brillaient d´une lueur similaire à celle qu´émettaient ceux d´Elrika.
- « Tu les tortures ? »
Elle ne répondit pas.
Alistair leva à nouveau son bras et décapita les pauvres hères :
- « Elrika… Pourquoi faire une chose pareille ?
- Je suis ton égale, pas ta subordonnée. Je te répondrai le jour où j´en aurai envie. »
Elle se remit en selle , au moment où Alistair utilisait son cosmos pour creuser de larges fosses dans les bas-côtés.
- « Tu les enterres ? Tu es un bien étrange garçon »
Elle repartit en chemin, sans l´attendre.
- « Et toi une bien étrange dame …»
***
L´Italie.
L´assassin s´installa dans sa chambre et tendit la main : une flamme y apparut.
- « J´avoue être plutôt satisfait de mes progrès, dernièrement. »
Une douleur le saisit à la poitrine et la flamme disparut aussitôt.
Il se tourna vers le miroir et, écartant sa tunique, il observa les stigmates de la brûlure qui lui barrait le torse.
C´était un nom écrit en grec ancien :
- « Athéna… »
***
Une auberge aux alentours de Marseille.
Alistair et Elrika louèrent deux chambres pour la nuit avant de s’installer à table pour le repas du soir.
Un voyageur éreinté pénétra dans la pièce, son visage s´illuminant soudain lorsqu´il aperçut Alistair :
- « Maitre Alistair !
- Clément ? »
- Qui est ce jeune garçon ? » Demanda Elrika.
- « C´est un de nos serviteurs. Que fais-tu ici? Et regarde dans quel état tu es !
- Je n´avais pas le choix, Maître. Il fallait que je vous fasse parvenir la nouvelle. »
Elrika, désintéressée par la conversation, se leva pour aller commander une chope de bière auprès de l’aubergiste.
- « De quoi parles-tu donc ?
- C´est votre père… Il est mort ! »
Le sang d´Alistair se figea.
- « Ca s´est passé deux jours après votre départ. J´avais quitté le domaine pour négocier une commande passée auprès du charpentier du village. C´est sur le chemin du retour que j´ai vu le manoir en flammes. La majorité des occupants avait réussi à sortir. J´ai alors levé les yeux vers la tour de votre Père et je l´ai vu à la fenêtre. Il savait qu’il était condamné… je l’ai lu sur son visage. Il s´est retourné et a disparu à l´intérieur. Peu après, la tour s´est effondrée.»
Le regard d´Alistair s´embua.
Elrika se rassit à la table et le regarda. Elle avait compris.
Le serviteur se reprit :
- « J´ai regardé autour de moi afin de faire le décompte des survivants. Et c´est là que je les ai vus. Ils étaient cachés à la lisière de la forêt mais j´ai reconnu leurs couleurs. Une troupe de templiers liés à l´inquisiteur. »
Alistair se leva :
- « Alors ça n´était pas un accident. Je vais partir à leur recherche et les abattre comme des chiens ! »
Elrika intervint :
- « Tu n´en feras rien. »
Alistair la fixa d´un regard glacial.
- « Ton père lui-même t´a demandé de te consacrer à notre ordre. Partir le venger ne le ramènera pas. Je comprends ta peine, mais notre Déesse est la seule personne qui compte désormais. Elle se bat contre les valeurs qui animent ceux qui ont tué ton père. L’aider à accomplir son plan est le meilleur moyen de le venger. »
Alistair la regarda quelques instants avant de fermer les yeux.
- « Tu as raison. »
Il tendit une bourse à son ancien serviteur.
- « Prends cet argent et choisis toi un nouveau maître. Là où nous allons, nous n´en n’aurons pas besoin. »
***
Le mont étoilé.
La main d’Austrinus tremblait depuis qu´il avait goûté à la colère d´Eris.
Son corps reflétait sa nervosité et il s´était retiré en ce lieu où seul le Pope avait le droit de se rendre.
Eris semblait tout aussi dépitée de sa nomination à la tête du Sanctuaire que lui, aussi cela lui laissait du temps pour se familiariser avec sa nouvelle fonction.
- « Alors ? »
Austrinus se retourna : la déesse venait de pénétrer dans la minuscule bibliothèque.
Autant pour l´isolement.
- « Vous n´êtes pas dans vos appartements ? Je croyais que vous vouliez vous y reposer.
- Ca sera possible après quelques aménagements. Et toi, que fais-tu ici ?
- Ce lieu est le plus proche des cieux. Il permet au Pope de lire les étoiles pour y prédire l´avenir et se préparer en conséquence.
- Lire l´avenir ? »
Le Pope se tourna vers les manuscrits qu´il venait d´étudier:
- « Oui. Les diamètres et la position de certaines étoiles changent et à chaque cas de figure correspond une prédiction. »
Eris le regarda comme si elle avait un enfant sous les yeux :
- « On ne peut pas lire l´avenir. Et un corps céleste ne peut changer de diamètre ou changer de place sur une telle distance sans l´influence directe d´un cosmos divin. Pour qu´un tel phénomène soit visible de la Terre, ce même corps céleste, situé à des millions d´années-lumière, devrait multiplier son volume ou se déplacer dans des proportions invraisemblables. C´est physiquement impossible. »
Austrinus fit une moue perplexe.
- « Ne me dis pas que vous croyez encore que c´est le soleil qui tourne autour de la Terre ?!… »
Austrinus voulut répondre que si. Qu´il suffisait de lever les yeux vers le ciel pour s´en convaincre, mais quelque chose lui souffla qu´il risquait de subir la même déconvenue que la veille s´il se risquait à contredire sa supérieure hiérarchique.
Eris soupira :
- « L´humanité en est encore là ? »
Elle continua :
- « Quand Athéna se désincarne, son essence reste sur Terre. Elle n´est concentrée à aucun endroit particulier. Elle est partout autour de nous. Cela lui permet de maintenir ses sceaux en place le plus longtemps possible tout en surveillant la planète afin de se réincarner à temps lors de l´affaiblissement de l´un d´entre eux. »
Eris se dirigea vers une bibliothèque garnie de grimoires.
- « Le mont étoilé est le lieu qu´Athéna utilise pour faire passer des messages à ses popes. Son état désincarné empêche un contact direct. Mais elle peut modifier de façon grossière l´apparence des étoiles en ce lieu. Si elle sent quelque chose d´anormal, elle modifie l´apparence de la voûte céleste au droit du mont étoilé selon des schémas qui correspondent à des messages qu´elle a déjà couché sur papier. »
Il était évident que le Pope n´avait pas tout compris.
Eris soupira et retira un grimoire de l’une des étagères pour le poser devant le Pope.
- « Regarde la voûte céleste, repère le dessin qui y correspond et lis-moi ce qui est écrit sous ce même dessin… »
Austrinus s´exécuta :
- « Une Déesse d´obscurité se lèvera sur la Terre et la recouvrira de son ombre. Guerres, maladies et détresse seront le lot de l´humanité. »
Eris sourit :
- «C´est toujours appréciable d´entendre parler de soi ainsi. Merci Grand Pope. Tu viens de sauver ma journée. »
Le Pope continuait à fixer la prophétie d´Athéna.
- « Maintenant que tu sais ce que je prépare pour ta misérable planète, me suivras-tu dans l´exécution de mon plan ou bien te rebelleras-tu ? »
Austrinus demeura longuement silencieux. Puis, il posa son casque sur sa tête avant de s´agenouiller devant Eris.
- « Vous êtes la maitresse légitime du Sanctuaire. Je vous assisterai sans faillir. »
Eris partit dans un rire dément :
- « Je te promets de ne pas rayer entièrement ton espèce de la surface de la planète. J´en laisserai survivre quelques uns à l’hécatombe… histoire de remettre ça à l’occasion. »
***
Parvis du temple du Bélier. Plus tard dans la nuit.
Quatre guerriers, dont l’identité était dissimulée sous d’amples tuniques sombres, se présentèrent devant la maison du Bélier.
Ils y pénétrèrent en courant mais l´absence d´éclairage les força à ralentir le rythme
- « Eris est restée sur le Mont Etoilé. Quant au grand Pope, il vient d’en redescendre. Une semaine de repos a été décrétée : aucun chevalier d´or n´est de permanence dans sa demeure. Nous ne devrions avoir aucune difficulté à atteindre le palais du Pope afin de l´assassiner… »
Le chef du groupe marcha bruyamment sur une assiette posée par terre. Un mouvement indistinct devant eux les figea.
Une forme sombre se tenait dans l´obscurité. Deux cornes gigantesques en dépassaient.
- « C´est le chevalier d´or du Bélier !
- Qu´est-ce qu´il fait ici ? »
La silhouette respirait de façon régulière.
- « Il dort… à même le sol ?
- Contournons-le… »
A peine le premier d´entre eux avait-il dépassé le chevalier du Bélier que ce dernier bondit sur lui pour le projeter contre un mur de son temple. Deux des indésirables voulurent aider leur compagnon mais ils subirent le même sort. Quant au leader du groupe, il tenta bien de fuir mais le gardien de la première maison le plaqua contre la dure paroi à l´aide de ses gigantesques mains.
Le chevalier du Bélier cogna son front contre celui de l´intrus dans un long grognement.
- « Pitié, chevalier d´Or ! Pitié ! » Les trois autres se relevaient déjà et couraient hors du temple.
Le Bélier laissa choir le leader qui détala sans demander son reste.
Victor resta à guetter quelques minutes puis retourna se coucher. Sans avoir prononcé un seul mot.
***
Les appartements du Pope.
Austrinus contemplait son reflet dans le miroir.
Son asservissement à Eris aurait des conséquences terribles pour le monde.
Mais cela ne serait rien comparé à ce qu´il devrait subir.
Les larmes ne coulèrent pourtant pas.
Il baissa les yeux vers sa main : Elle ne tremblait plus.
1 Kommentar:
Vivement la suite
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